Un pot d’après-boulot ? Non merci, nous prendrons du quatuor à cordes !

C’est en excellente compagnie que j’ai assisté à ce concert. Il y avait ma collègue A., très intriguée par ces objets sur scène. On a improvisé dès le lendemain un atelier violoncelle et tournes, remplaçant la pique du violoncelle par un stylo bille, la laisse de l’instrument par un taille-crayon et les pédales pour tourner les pages de la tablette par des post-it. Elle a été dûment impressionnée par l’agilité des musiciens, un peu moins quand j’ai mimé un violoncelliste creusant à coup de pique un trou dans le plancher.

Quel plaisir de revoir Z. ! Je suis sûre qu’il s’est réjoui de la partie d’alto dans le Quatuor Américain. Quelle riche idée de sa part de troquer son violon orchestral pour un alto chambriste. Je me suis demandée comment il jouerait la partie d’alto du 2è mouvement de l’américain. Saccadée, un peu rugueuse, comme avait choisi le regretté altiste des Enesco à Cortot, tout juste avant le premier confinement. Un legato bien gourmand comme Ori Kam ?

J. est passé boire un café. Plus touché par les deuxièmes mouvements, en particulier par les farfadets du 2e mouvement du sextuor, il m’a passé commande de violoncelle et de mélancolie. J’épluche les brochures, mais il semblerait que le concerto d’Elgar disparait des programmes dès qu’on en cherche un. 

Il est repassé dans l’après-midi, se demandant si la partie de premier violon était plus difficile que la partie des autres musiciens, elle en avait l’air ? Par bonheur, j’avais une réponse en stock, alors je me suis étendue sur les quatuors où les premiers et second violon échangent leurs attributions de temps à autres, et ceux dont le premier violon est immuable. Puis j’ai enchaîné avec jubilation sur Günter Pichler ( mais si, le violoniste punaisé à côté de mon ordi !) que j’avais ouï raconter à des pioupioux que ceux de ses confrères qui occupaient indifféremment les deux postes de violon consacraient 80% de leur temps de travail personnel aux parties de premier violon, 20% à celles de second. En revanche, au moment de parler des spécificités des autres instruments du quatuor, j’ai marmonné quelques mots-clés puis ai pretexté une réunion pour m’esquiver. Pourquoi n’a t’on jamais de quartettiste sous la main quand on en a besoin ?

Le jeune quartettiste, venu récolter des munitions pour nourrir des débats intra-quartettiques qui ne vont pas sans rappeler le meilleur Pagnol « Le second violon, après le retour du thème, il joue à la pointe, Môssieu, pas talon-milieu. A la poin-te. » Si seulement il était passé par le recoin-de-convivialité du bureau le lendemain.

Une autre A. était toute émue que la page Wikipédia du Quatuor Américain confirme ses intuitions de mélomane débutante. On dirait quelque chose du début du 20è, avec un peu de, hmmm, exotisme dedans ?  Mais oui !

Mon chef s’est demandé pourquoi Gary Hoffman était le seul des musiciens à porter un FFP2 sur le museau. Je lui ai glissé que contrairement aux nuages radioactifs, les aérosols ne s’arrêtent pas à la lisière de la scène. Il n’a pas semblé convaincu. Il n’a pas eu non plus de réponse convaincante à me soumettre que je lui ai demandé pourquoi le même violoncelliste embarquait ses partitions sous le bras dès les premiers saluts ? Aurait t’on subtilisé ses partitions dans le passé ? 

Ma collègue et amie I., la plus grande mélomane de la bande – il faut l’être, pour ne jamais rater les concerts des ensembles amateurs des collègues – s’est fait un sang d’encre pour le premier violon des Jerusalem, dont l’archet perdit quelques crins pendant le concert. « Mais le loulou ?! Est ce qu’il va pouvoir continuer de jouer ? ». Rassurée, elle me demanda si ca m’était déjà arrivé. J’ai confirmé, et n’ai pas osé lui avouer que c’était un évènement tout ce qu’il y a de plus anodin, de peur d’éteindre la lueur d’admiration qui était apparue dans ses yeux.

Et à la fin du concert, elle s’est exclamée, sans réaliser que nous enfilions nos manteaux : « Il y a un deuxième entracte et ils continuent, n’est ce pas ? ». Si seulement !