Pas un simple «Plaf ! », mais un camouflet aux circonstances, cet accord final du Quintette de Schubert, joué par une sélection de musiciens issus des quatuors Ebène et Belcea. Le coronavirus avait imposé sa loi : les musiciens ne seraient pas huit sur scène, mais cinq maximum. A la dernière minute, pour éviter l’annulation du concert de clôture de la Biennale, les musiciens avaient opté pour un programme remanié : 1er quatuor de Brahms et le Quintette de Schubert. « Lu » sur scène, sans répétition. Si j’avais osé, je me serais frotté les mains. C’est lorsque la catastrophe menace que se donnent les concerts les plus inouïs, chacun le sait.
D’ailleurs, ce n’est que quand j’ai entendu mon voisin – un musicien – pouffer que je me suis rendue compte que j’applaudissais à tout rompre. Applaudir entre les mouvements ! Grands dieux ! Il a pouffé discrètement, sans méchanceté, mais suffisamment pour que je revienne à moi et m’arrête d’applaudir. Je me ressaisis, je ne vais pas me laisser intimider par un étudiant du conservatoire ! Vexée, je me remets à taper dans mes mains, mais le coeur n’y est plus.
Il m’arrive de temps à autre d’applaudir entre les mouvements, mais de façon délibérée, pour rasséréner des amis non initiés que j’ai entraînés au concert. Des fois qu’ils se sentiraient embarrassés et fautifs, après avoir applaudi là où il ne faut pas. En revanche, je n’ai pas souvenir d’avoir jamais applaudi spontanément entre deux mouvements, sans même avoir conscience de mes gestes. C’est dire l’intensité que cet équipage de chambristes avait du insuffler au Quintette, dans le 3è mouvement en particulier, pour qu’ils fassent sauter le verrou du conditionnement anti-applaudistique, et que je m’abandonne, comme hypnotisée, aux émotions suscitées par la musique.
Vous qui connaissez sur le bout des doigts le nombre de mouvements de chaque oeuvre au répertoire et les subtilités des rituels paraconcertiques, je vous en supplie, ne nous rappelez pas à l’ordre par un petit « chut » ou un gloussement, même dénué d’acrimonie. C’est presque cruel, de rompre la magie d’une émotion si singulière.
Philharmonie de Paris, 23 janvier 2022 Quatuors Ebène et Belcea Octuors de Mendelssohn et Enesco transformés en Quatuor n°1 de Brahms et Quintette pour deux violoncelles de Schubert |