Les inoubliables célébrations des 40 ans du Quatuor Enesco

Arrivée salle Cortot, je me suis demandée un instant si je ne devrais pas plutôt rebrousser chemin. Cortot était pleine à craquer de jeunes gens, boîtes à violon sur le dos. Ce dont on pouvait déduire qu’il s’agissait d’élèves des membres du Quatuor Enesco. De quartettistes connus, aussi. Quand je m’approchai d’un monsieur entre deux âges assis à côté d’un des rares  sièges libres, il m’en interdit l’accès avec un « C’est pris, Madame » au « r » majestueusement roulé. Un « r » roumain. 

Des violonistes. Des quartettistes. Des compatriotes des musiciens. Venus fêter les 40 ans du Quatuor Enesco, un âge vénérable pour un quatuor. Moi, j’ai l’impression d’être une pique-assiette à une fête familiale. 

Je m’assis le plus discrètement possible derrière un altiste de quatuor d’origine roumaine, en espérant que mon statut de violoniste amateur d’origine hongroise – toutefois élève d’un élève de Constantin Bogdanas, s’il vous plait – suffise à établir ma légitimité. 

Après 40 ans de carrière, après avoir rempli les plus grands auditorium du monde, ce quatuor en revient à jouer dans une salle relativement petite, devant un public constitué d’amis, de proches, et de collègues. Comme aux débuts d’un quatuor. Est ce un peu triste, ou au contraire réjouissant, ce public restreint, mais acquis et manifestement si heureux de les écouter ? Un public idéal ? Presque. Un petit bonhomme devant moi, au pedigree pourtant impeccable – fils et petit fils de quartettiste – semble plus ému du décalage de l’heure du goûter qu’à l’idée d’écouter les Enesco jouer le Quatuor Américain et la Jeune Fille et la Mort.

C’est rare d’entendre un quatuor quadragénaire le jouer (la jouer ?). Mais saisissant et poignant. Comme si en quarante ans de métier, ils s’étaient débarrassés de toutes les difficultés techniques, de tout le superflu. Ils jouent avec une simplicité, un abandon qui donne à cette Jeune Fille une rare intensité. Ils la jouent, en somme, comme si c’était la dernière fois qu’il leur était donné de la jouer. 

Quand vient le moment des bis, Vladimir Mendelssohn (l’altiste) nous explique, une lueur malicieuse dans les yeux, qu’au cours de leur longue carrière, ils ont noué des amitiés avec de nombreux confrères du monde entier. Voilà l’occasion de leur réclamer des cadeaux ! Le premier était un petit morceau que leur aurait composé un certain Antonin D., un tchèque. Et les voilà qui se lancent dans une version améliorée de l’Américain, où la mélodie du premier violon est remplacée par une délicieuse variation autour du thème « Joyeux Anniversaire ». Et la salle se met à glousser avec ravissement, car il s’agit typiquement du genre de plaisanterie musicale dont sont friands les quartettistes et les quartettophiles.

Mais un anniversaire si symbolique mérite bien plus qu’un seul cadeau : depuis l’Argentine, leur copain Carlos Gardel a mitonné un autre bis, où le thème de l’Anniversaire est décliné façon tango argentin. Si mes souvenirs sont bons, c’est lors de ce bis que l’aréopage de musiciens et de quartettistes qui constituait le public s’est mis à applaudir en rythme avec un enthousiasme non feint. 

A l’issue du concert, j’avais hésité à m’arrêter casser la croute au petit restaurant japonais, près de la gare. Avec ce virus qui traine, était-ce été bien prudent ? Ca a été ma derniere sortie au restaurant avant longtemps : une semaine plus tard, le pays entier était confiné. Dix huit mois plus tard, Vladimir Mendelssohn quittait ses vieux collègues, choisissant d’aller jouer de l’alto sur d’autres plans d’existence. Ces bis n’étaient à l’évidence pas que des plaisanteries musicales. Une fête de départ. Un dernier cadeau au noyau dur de leur public. Et cette Jeune Fille, fort possiblement leur dernière. 

(Je ne publierai pas les videos des bis que j’ai filmées, on n’y entend que mes gloussements)

Salle Cortot, dimanche 8 mars 2020, 17h
Quatuor Enesco-Atheneum (Constantin Bogdanas, Florin Szigeti, Vladimir Mendelssohn, Dorel Fodoreanu)
Franz Schubert, « La Jeune Fille et la Mort »
Antonin Dvorák, Quatuor « américain » op. 96
Georges Enesco, Fantaisie sur la Rhapsodie Roumaine n°1
Farandole de bis d’anniversaire

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