Six (six ? six !) Suites de Bach au Wigmore

Quelques instants avant le début du concert, avant d’activer le mode « avion » du téléphone, celui-ci me suggère la lecture d’un article sur le siège de Mariupol. Puis celui sur les deux millions et demi d’Ukrainiens qui ont quitté leur pays en guerre. Les six millions d’âmes réclamées par le COVID. Le fossé entre l’horreur de l’actualité et la joie du concert parait chaque jour un peu plus profond.

Le lendemain de l’achat de mes billets, Omicron fermait les frontières du Royaume-uni1. Il y a quelques semaines, j’échafaudais encore des itinéraires, soigneusement minutés pour faire tenir l’aller-retour en moins de 24h post-PCR, pour m’éviter une quarantaine londonienne. Au fond, je suis étonnée d’avoir pu in fine assister à ce programme. A l’étonnement se mêle de l’appréhension, aussi. Et si, à l’issue du concert, quand je rallumerai mon téléphone, les musiciens ukrainiens que je suis sur les réseaux sociaux s’étaient définitivement tus ?

Je repense souvent ces jours-ci à ma promenade bruxelloise, le lendemain du Elgar joué par Gary Hoffman. Les rues du centre de Bruxelles, méconnaissables, tapissées de hérissons tchèques et de barbelés-concertina. Les silhouettes massives, si hostiles, des policiers anti-émeute. La frise chronologique à l’entrée de l’expo « Berlin de 1912 à 1932 ». Les déflagrations et les sirènes de la manifestation au centre-ville. La lumière crépusculaire du concerto d’Elgar. Dont on ne saurait plus dire si elle émane des années 20 de ce siècle ou du précédent. Une vague de terreur m’avait alors submergée.

Je m’étais rassérénée tant bien que mal, allons allons cocotte, si on doit revivre les années 20 ou les années 30, au moins on n’aura pas droit à une redite de la grippe espagnole. La médecine moderne saura nous protéger. Je m’étais bien fourvoyée ; je pensais aussi qu’il restait plus de temps.

Raison de plus pour faire des aller-retour acrobatiques à Londres pour écouter les Suites, tant que c’est possible. Quand bien même la joie du concert s’est absentée ces jours-ci.

(NB : Suites simples et contemplatives, avec ce petit côté old school qui fait partie intégrante du charme de ce musicien)

Dimanche 13 mars 2022, Wigmore Hall
Gary Hoffman, violoncelle
Bach, Suites pour violoncelle n° 1,2,3,4,5 et 6

1 : sauf pour motif impérieux. Les administrations douanières considèrent qu’écouter les Suites de Bach ne relève pas du motif impérieux.

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