En amuse-gueule du Bartók-Marathon

Comme vous le savez, puisque je vous en parle toutes les deux minutes, je suis partie à Budapest pour assister au Bartók-Marathon (Maraton en hongrois) un projet bien farfelu d’Iván Fischer, directeur musical de l’Orchestre du Festival de Budapest, co-producteur de la chose avec le Palais des Arts. A l’occasion, Iván Fischer a été l’invité ce soir de l’émission télévisée ‘Tények’ (Faits), un talk-show hongrois des plus respectables. Si je me contente de mettre en lien la vidéo, vous risquez d’avoir quelques petits soucis de compréhension, je ne résiste donc pas au plaisir de vous livrer une traduction (bâclée et maladroite, les phrases bancales sont de moi, en aucun cas d’Iván Fischer), qui vous éclairera un tantinet sur ce mystérieux et passionnant Bartók-Marathon. Certes, certes, ce n’est pas très légal, mais cette vidéo ne devait pas rester accessible qu’aux magyarophones. Nom d’un petit bonhomme.

Iván Fischer y parle musique, Bartók, et à mots à peine couverts, politique :



Évá Andor: Le Bartók-Maraton aura lieu demain au Palais des Arts : au cours d’une seule journée, du matin au soir, se tiendront 11 concerts, uniquement d’oeuvres de Bartók : le Concerto, le Divertimento, Mikrokoszmosz, des oeuvres pour piano, des oeuvres pour choeur… Quand vous avez monté le programme, comment avez-vous choisi les oeuvres données, sachant qu’il n’était pas possible de programmer tout le corpus ? Quel est le parti pris ? Privilégier des oeuvres connues, populaires, au contraire, profiter de l’occasion pour jouer des oeuvres plus rares ?

Iván Fischer : La chose intéressante dans l’idée d’un marathon, est de donner à écouter aux auditeurs suffisamment d’oeuvres différentes, pour qu’ils se construisent une idée du compositeur. Comme s’ils venaient à le connaître, personnellement. Ça peut être très bien d’écouter une seule oeuvre d’un compositeur donné, évidemment, mais quand on écoute toute une série d’oeuvres, l’impression est la même que quand on va au musée pour voir une expo, tout un pan de l’oeuvre d’un peintre, par le biais d’une expo qui retrace tout la vie d’un peintre. Pour faire la connaissance d’un peintre. Mais il est vrai qu’il faut choisir.. ! On a fait en sorte de donner une image complète de Bartók.

E.A. Avec quelle image de Bartók vont repartir ceux des auditeurs qui assisteront à tous les concerts, de 10h30 à 22h (NDLR : punaise, quand même)

I.F. : Une image haute-en-couleurs, d’un compositeur qui s’adonnait à de nombreuses activités différentes. Dont on donnera de chacune un petit avant-gout. Prenez son activité de pédagogue. Et bien, pendant l’un des concerts, des petits élèves d’une école de musique joueront des extraits de Mikrokoszmosz, que justement, Bartók a écrit pour des petits enfants. Pour qu’ils apprennent ainsi à jouer du piano.

Il y aura aussi, par exemple, des oeuvres pour orchestre, pour choeur, de la musique de chambre, et à la fin, le seul et unique opéra de Bartók, le Château de Barbe-Bleue. Ainsi, ceux qui écouteront les 11 onze concerts seront confrontés à des musiques très différentes.

E.A. A propos de Barbe-Bleue, traditionnellement, l’Orchestre du Festival de Budapest donne le dernier concert, le concert de clôture du marathon. Demain, ce sera donc Le Château de Barbe-Bleue. Pourquoi ce choix ?

I.F. : C’est le seul opéra de Bartók. Il est d’ailleurs intéressant de voir que Bartók a écrit un seul ballet, le Prince de Bois, un seul opéra et une seule pantomime, le Mandarin Merveilleux, chacune une oeuvre absolument superbe. Et il n’a pas écrit, ni souhaité écrire plus d’oeuvres dans ces genres-là. Comme si chacune de ces oeuvres avait du lentement mûrir avant qu’il ne puisse l’écrire. Et à mon sens, le Château de Barbe-Bleue est une oeuvre si unique que je ne saurais lui comparer aucune autre oeuvre du XXè siècle. Finalement, il s’agit du dialogue d’un homme et d’une femme, sur les différences les plus cruciales, les plus fondamentales entre un homme et une femme, c’est un drame psychologique, condensé en une heure, alors que, vous savez, un couple n’a aucun mal à se chamailler pendant des heures, des heures et des heures sans décider qui pouvait bien avoir raison.

E.A. A l’automne dernier, le BFO est parti en tournée, de Varsovie à Paris, et vous y avez joué du Bartók, et du Mahler. Je me rappelle quand on en avait parlé l’année dernière, vous aviez dit apprécier en tout premier lieu chez Mahler, sa sincérité. Si je vous pose la question à propos de Bartók, que me répondez-vous ?

I.F. : La personnalité de Bartók est complètement différente de Mahler. Mon sentiment sur la question est qu’il y a quelque chose de, très profond, très pur, chez Bartók. On sait, bien sûr, de Bartók, qu’il s’agissait d’un homme extrêmement honorable, droit, et pour moi, au milieu de cette époque tourmentée, compliquée, que nous vivons actuellement, Bartók est comme un phare, une boussole. Il faut se rappeler comment il se comportait, ce qu’il disait, ses écrits, toujours justes, droits. Un roc moral, inébranlable. Qui considérait cette civilisation superficielle. A l’inverse, Bartók fait passer des sentiments d’une extrême profondeur par le biais des héros qu’il fait vivre dans ses oeuvres. Dans le Mandarin Merveilleux, le héros est capable d’un amour désintéressé, comme personne, il s’avère incapable de quitter ce monde avant même d’avoir atteint ce but, et il en est de même pour Barbe-Bleue, même si tout le monde le prend pour un abominable criminel, qui aurait assassiné ses précédentes épouses. C’est la croyance qui s’est répandue à son propos, or Barbe-Bleue est tout sauf ça : il est tout sauf un être malveillant, il est au contraire un homme capable de sentiments si profonds qu’il est incapable d’oublier ses précédentes compagnes. Même si en surface, on a cette impression d’un homme qui enferme ses ex-épouses dans son château.

(la suite de l’entretien parle de la tournée du Budapest Festival, au Canada. L’intervieweuse mentionne l’article éboui du New York Times , du Devoir de Montréal « le Concert de l’année ! », le plaisir de l’orchestre face aux hurlements de joie des spectateurs, du Figaro mis en scène par IF, des rôles respectifs de la mise en scène et de la musique (c’est d’ailleurs passionnant, mais je traduirai ça un autre jour), de l’impertinence de Mozart et Da Ponte qui ont réussi à imposer un Figaro frondeur au milieu d’une cour autrichienne des plus conservatives, de l’importance d’une bonne acoustique (comme dans l’Académie de Musique de Budapest, en cours de rénovation), etc, etc, et enfin….retour au Bartók-Maraton)

E.A.: en plus des concerts, il y aura des projections de film, des expositions… Vous y serez ? Le soir, en effet, vous dirigerez le dernier concert ?

I.F. : Oui, c’est toujours une grande frustration de ne pouvoir assister à tout, car il faut préparer le concert du soir, mais je conseille vraiment à quelqu’un qui veut faire la connaissance de Bartók, de venir dès le matin, à 11h, où euh, à l’heure où tout ça commence, et d’écouter tous les onze concerts. mais si vous avez plutôt envie de picorer, c’est bien évidemment autorisé, mais les fanatiques qui sont intrigués par Bartók doivent écouter jusqu’à la fin tous les concerts de demain !

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