Vdi 31 mai et dim 2 juin 2013, Temple des Batignolles. Orchestre des Concerts Gais, Julien Vanhoutte (dir.), Marlène Rivière (vc) Rimsky : Ouverture de la Fiancée du Tsar, Fauré : Pélléas et Mélisande, Debussy : Prélude à l’Après-Midi d’un Faune, Saint-Saëns : Concerto pour violoncelle n°1 |
A tout seigneur, tout honneur : reprenons le cours de nos activités chroniquettantes avec ce qui a été sans doute l’évènement musical de ce printemps : le concert symphonique de l’Orchestre des Concerts Gais.
L’Ouverture de la Fiancée du Tsar.
La légende veut que ce soit un tromboniste qui ait choisi d’inscrire ce morceau au programme du concert. Inévitablement, il avait omis de remarquer la quantité pléthorique de croches, de doubles-croches chez les cordes entre chacun des rudimentaires « pon ! » de la partie de trombone. Prise de panique, j’avais passé les dernières nuits précédant le concert à me craqueler la pulpe des doigts sur les abominables traits de la Fiancée, une petite enclume en caoutchouc sur le chevalet du violon. En peine, car si j’ai pu gagner un peu en vélocité, je suis malgré tout restée coincée à 80% du tempo officiel.
Peu importe, j’avais ruminé ma vengeance et projetais d’envoyer une volée de grimaces bien senties à l’attention du Chef dès qu’il accélérerait avec un peu trop d’enthousiasme le jour J. Sans savoir qu’il avait de son côté prévu de m’adresser quelques oeillades taquines au début de l’accelerando. De fait, je suis restée le nez dans mon pupitre, lui, il s’est retrouvé avec des urgences de chef à régler. Les seuls qui se sont amusés, ce sont les trombones.
Pelleas et Mélisande, Fauré.
J’ai eu un plaisir immense à travailler et à jouer ce morceau. Par contre, je ne peux ré-écouter les 17 minutes de Pelleas. A vrai dire, je me demande si Debussy n’avait pas un brin raison quand il écrivit que la Fileuse du Pélleas et Mélisande de son confrère Fauré tenait de la ‘Fileuse de casino de station balnéaire’.
Entracte !
Champagne à la buvette ! Hinhinhin !
Prélude à l’Après-Midi d’un Faune, Debussy.
Qu’il est trompeur, ce Faune. La première fois que j’ai vu la partition, je ne me suis pas méfiée. Trois petites pages de notes à jouer. Une promenade de santé ! J’ai vite déchanté. A la première répétition, je me suis retrouvée, paniquée, l’oeil vitreux, incapable de dire à quelle page on en était. L’écriture est brumeuse, sans repères, les mesures à durée indéterminée, en douzaine ou en neuvaine de croches, comment savoir. On croit savoir qu’Untel rentre sur la 6è croche et demie, nous aussi, non ? Non, plutôt avant, après, pendant, débrouillez-vous, cette musique ne prévoit pas de poteau indicateur à l’attention de ses exécutants. Il m’aura fallu écouter une bonne 50-aine de fois le Prélude pour m’y situer géographiquement à tout moment – à une ou deux mesures près – et pouvoir compter alternativement jusqu’à neuf, puis douze, sans me laisser distraire par tous ces instruments qui ne demandent qu’à vous induire en erreur.
A la générale, un petit miracle se produit : l’alto solo nous glisse une dernière astucette (« Non, non, ne comptez pas jusqu’à « huit » à la troisième de B. Posez votre ‘woooom !’ sur le ‘tougoudougoudou’ des violoncelles, sans stresser »), le flûtiste m’accorde gentiment une mini-master-class de debussysme. Je comprends enfin que le sol# de la ligne de flûte, c’est le Signal Magique, Celui Grâce Auquel Tu ne Peux plus te Perdre si Tu l’as Répéré. Je me sens prête. Pour peu qu’avec l’émotion, je n’oublie pas comment compter jusqu’à neuf.
Au concert, était-ce la flûte – ensorcelante, les bubulles de champagne ? Lumière se fait dans mon esprit, je goûte enfin les joies cette écriture qu’on m’a tant vantée : le temps que cette musique suspend sans effort apparent, la chaleur un brin lascive de ses couleurs orchestrales, le plaisir sensuel de poser un ploum gourmand au beau milieu du rien, sans avoir à compter ni à réfléchir, juste à faire confiance à son instinct, parce que ce sublime ploum ne pourrait être nulle part ailleurs. Quand est-ce qu’on joue La Mer, dites ?
Concerto pour violoncelle n°1, Saint-Saëns
J’étais persuadée ne pas aimer jouer des accompagnements de concerto, je pensais ne pas aimer Saint-Saëns, je dois à Grand-Chef de m’avoir fait goûter le plaisir qu’on peut ressentir à jouer une tenue toute bête, pianississimo, les oreilles tendues en avant comme pour mieux se fondre dans le son de la soliste. En tant qu’orchestre, nous nous sommes probablement rarement autant écoutés les uns les autres. Mes sources dans le public – et l’enregistrement – l’ont confirmé, la complicité entre la soliste et l’orchestre était tangible. Et quelle soliste ! Sa personnalité chaleureuse, son humour (elle connaît tous les Astérix par coeur (dans mes bras !)) en font une interprète toute idéale pour ce concerto – sans parler de sa technique irréprochable.
Et le bis…..?
Finlandia de Sibelius. Les cuivres ont adoré faire trembler les murs, il faut mettre au crédit de l’architecte du Temple des Batignolles le fait que le ciel ne nous soit pas tombé sur la tête pendant la fanfare initiale. Heureusement, l’hymne central vient calmer les choses.
Et sinon ?
Il paraîtrait qu’au fond, là-bas chez les cuivres, d’aucuns aient oublié leurs partitions. Mais pas leurs iphones. C’est ainsi que l’Orchestre des Concerts Gais est entré de plein pied au XXIè siècle en adoptant par mégarde les pupitres électroniques.