La remise des Prix très Importants et très Prestigieux de la Biennale de Quatuors

Après avoir longuement soupesé les qualités des concerts de la Biennale de Quatuors 2022, voici le résultat des délibérations. Les lauréats des vrai-faux Prix de la Biennale sont …:

Le Prix du Ploum : le Quatuor Jerusalem

Le Prix Ploum ! récompense la somptueuse série de pizz’ de Kyril Zlotnikov, dans le 2nd mouvement du Quatuor Américain. Dix jours plus tard, ma collègue I. me parle encore, des étoiles dans les yeux, des « doung-doungs du violoncelliste ». Peut-être ai-je moi aussi essayé à la maison de reproduire ces spectaculaires ploums, le plus féroce d’entre eux souligné d’un gigantesque moulinet du bras droit. Ca a été un échec cuisant, il me manquait trop d’ingrédients : un gigantesque crescendo d’où puiser l’énergie du geste, trois confrères au lyrisme ébouriffant à côté, un robuste violoncelle en lieu et place de Pépé-le-Crincrin. Petit Pépé a pris peur et a refusé catégoriquement qu’on lui inflige un pizz’ pareil.

Le quatuor Simply reçoit le Prix du « Plaf ! »

Le « plaf ! », aussi appelé « Et plam ! » ou « Et plaf ! », c’est ce geste déclamatoire du bras de l’archet, une décharge d’énergie autant qu’un rituel, qui parachève l’accord final de presque tous les quatuors à cordes. La compétition 2022 a été féroce, mais l’éloquent « Plaf ! » du Quatuor Simply, souligné par un jeu de jambes d’altiste exceptionnel, mérite sans aucun doute ce prix.

En attendant, je cherche encore les mots adéquats pour expliquer à mon amie et collègue I., très intriguée par la chose, la nécessité viscérale de ce geste créé puis nourri de l’échange d’énergie entre le musicien et la musique.

Et plaf !

Prix de la Chaussure

Le jury a longuement délibéré pour savoir à qui attribuer le Prix de la Chaussure. De très grands musiciens étaient en lice : ce quatuor dont un des musiciens vient de s’offrir une paire de chaussures qui couinent et craquètent avec entrain. Les Hanson ont été envisagés un temps pour leur choix judicieux de baskets confortables et silencieuses – puis short-listés pour le Prix Paprika de la meilleure oeuvre hongroise – leur Ligeti, mes aïeux…!

In fine, le jury choisit de m’attribuer le 1er prix. Pour écouter le Quatuor Hagen, j’avais chaussé ma paire de chaussures préférée. Les doyennes de ma garde-robe, quoiqu’encore fringantes, prêtes à s’aventurer dans leur deuxième décennie, avec des lacets neufs. Encore un peu capricieux. Pendant le Mozart, le lacet gauche s’est défait, puis s’est coincé, perfide, sous ma semelle droite. J’ai contribué au « Et plam ! » des Hagen d’un mouvement plein d’enthousiasme du pied gauche. Dans la résonance de l’accord, j’ai entendu le bruit du cuir qui se déchire, de l’empeigne jusqu’au dernier oeillet.

Ecouter les Hagen et mourir, voila un destin de chaussure exceptionnel.

Prix du Concours de Lutherie 

Sans hésitation possible, le prix est attribué à la Confrérie des Luthiers, après avoir admiré l’air ahuri de Raphaël Pidoux, venant de jouer un extrait de l’Arpeggione sur un violoncelle d’étude : « les luthiers sont des magiciens. Je n’avais pas idée qu’une guimbarde pouvait sonner aussi bien ». Chouchoutez votre luthier, offrez lui des chocolats de temps à autre, peut-être qu’un jour, votre citrouille aura besoin d’être transformée en Guarneri.

Prix de la Tourne

La premiere fois qu’un musicien m’a parlé de l’éventualité d’avoir recours dans le futur à des tablettes ou des ordinateurs pour afficher des partitions, j’utilisais encore un Nokia 6600 et venais juste de créer mon compte Facebook. A l’époque, l’idée d’utiliser un dispositif capricieux, susceptible de souffrir un plantage à tout moment, au lieu du papier, fiable et rapide, paraissait si saugrenue. Qu’est ce qu’on avait ri, ce soir là ! 

Entre temps, la Grande Transition Technologique a eu lieu : des quatuors ont adopté sans arrière-pensée des iPad Pro, d’autres demeurent fidèles au papier, certains, comme les Modigliani, sont divisés.

Lors des préparatifs du dernier – et très, très rapide – mouvement du 15è quatuor de Schubert, les musiciens s’affairent derrière leurs pupitres: l’un d’entre eux agence soigneusement sa partition sur son pupitre, un assemblage de photocopies et de petits morceaux en dépliant-accordéon, permettant d’éviter des tournes acrobatiques. Deux autres examinent minutieusement les coins de leur partition, s’assurant de la présence au coin de chaque page d’une corne, que dis-je, d’un cap, d’une péninsule. Qu’une excroissance papetière permette d’attraper chaque page en une fraction de seconde et la tourner sans manquer la moindre double croche. 

Derrière sa tablette – sur laquelle les tournes se font comme par télépathie, via une pédale actionnée au pied – le second violon dissimule mal un sourire narquois. 

Prix de la Partition

Chez les Hagen aussi, le second violon, Rainer Schmidt, est le seul musicien à avoir opté pour une tablette. Il semblerait que ce ne soit pas uniquement pour des raisons logistiques mais aussi pour mieux réfléchir aux Choses de la Musique. Car il affiche sur sa tablette non pas une simple partition de second violon, mais la partition du quatuor en entier, les quatre voix empilées, sur lesquelles sont fluotées autant de choses que sur sa propre partie. Si Rainer Schmidt était musicien d’orchestre, il jouerait, avec, affichés sur l’écran, la partition de l’orchestre en entier, les oeuvres complètes de Confucius, l’intégrale de la correspondance du compositeur, un exemple dédicacé du Discours Musical, et ceci est la raison pour laquelle Rainer Schmidt est et sera toujours mon second violon préféré. 

Prix FFP2

Les profils sanitaires des quatuors sont variés : cela s’échelonne des musiciens nez au vent, à ceux qui jouent la prudence avec des masques assortis à leurs complets-vestons. Certains musiciens choisissent de ne chausser un masque que quelques secondes, le temps de s’installer sur scène, pour le suspendre joliment à un coin de pupitre, comme un petit porte-bonheur coloré.

Ca me fait bouillir intérieurement, ce genre de choses. Je n’aime pas les choses illogiques. Après avoir passé bientôt deux ans à ronchonner contre tant de choses illogiques que j’en ai perdu le compte, c’est avec beaucoup d’admiration et de reconnaissance que je décerne un prix FFP2 à trois musiciens, pour leur choix empreints de bon sens – en pleine 5e vague : Clemens Hagen (Quatuor Hagen), Ivan Valentin Hollup Roald (Simply Quartet) qui a tout bonnement oublié la présence sur son nez d’un FFP2, et Gary Hoffman, qui, ignorant avec superbe le dress-code sanitaire de ses hôtes, les Jerusalem, a démontré qu’on peut jouer divinement bien du violoncelle avec un FFP2 sur le nez.

Un Prix Spécial hors Sélection de la Biennale est décerné à Messieurs B. et Z. pour leur aide précieuse, sans laquelle ma quête de FFP2 noirs n’aurait pu aboutir avant le concert de l’orchestre.

Prix du Panache Musical

Ce prix est décerné aux musiciens des quatuors Ebène et Belcea, notamment les cinq encore négatifs une heure avant le concert de clôture de la Biennale. Il restait suffisamment de musiciens pour constituer un quintette ad hoc (les Belcébène ?), qui devant un public d’amis, d’admirateurs à l’enthousiasme palpable (les vestiaires de la Philharmonie débordaient de violoncelles, c’était fou), ont « lu » un Quintette de Schubert inoubliable. Ils n’auraient toutefois pas du annoncer qu’ils « vont essayer de le lire en public », car si cela est le résultat standard d’une « lecture publique », on devrait songer à programmer des concerts où les musiciens et les œuvres jouées seraient tirés au sort à la dernière minute.

Prix Cocorico

Reconnaissante de l’organisation d’une superbe biennale, amusée aussi d’avoir lu dans la presse qu’il s’agissait du «plus grand évènement de ce type au monde » j’adresse des sincères remerciements et décerne un prix Cocorico à la Philharmonie de Paris – qui fait mine d’ignorer l’existence de la Biennale de Quatuors d’Amsterdam.

(Note : tous les concerts écoutés ont été immensément appréciés, y compris ceux à qui je n’ai pas su décerner un prix approprié, bien évidemment)

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