Arrivée à Cologne. Nous filons droit vers la brasserie la plus proche pour un premier déjeuner allemand. Je sirote ma Kölsch à une table de cornistes.
» Tu comprends, Peer Gynt est en mi, je le lis donc en fa, mais j’utilise des doigtés de si b, car j’ai fait de la trompette, auparavant. Ce qui est dommage, car le Peer Gynt sonne nettement mieux sur le cor en fa. Par contre, K., il a un cor inversé et doit utiliser des doigtés de si b pour jouer sur son cor en fa. »
Ben voyons.
Morgenstimmung (Peer Gynt)
Chez les premiers violons, ca grimpe stratosphériquement haut, vers les neiges éternelles du haut de la touche. J’en soupçonne certains d’être pris de vertige. De retour en plaine, ils nous confient s’être aventurés à un ou deux centimètres de la grande faille Touche-Chevalet .
En ce qui me concerne, je grimpe vaillamment jusqu’à la sixième, puis réalise avec effroi que je ne sais pas redescendre : comme un petit chaton coincé dans un peuplier, je miaule plaintivement et attends les pompiers/la fin du morceau.
L’amie de ma logeuse « Vous (les Français) êtes absolument lamentables en langues étrangères. Je ne sais pas comment des gens aussi intelligents peuvent parler aussi mal l’anglais ou l’allemand. J’ai moins de difficultés à comprendre les Indiens. »
Ouch !
Je tombe sous le charme du chef d’attaque des seconds violons, un altiste, pour qui le violon est un hobby : son allure de dandy mâtinée de vacancier et d’inspecteur Gadget (cette canne en bois/parapluie télescopique!) m’enchante. Altiste à l’opéra de Francfort dans la vraie vie, il se vante de pouvoir jouer la Flûte à l’envers. Chiche ?
F., le premier violon des Concerts Gais, est un traducteur-né. Après de longs pourparlers avec le premier violon allemand « Dass der Bogenstrich alles unterscheide, haben wir schon in dem vorhergehenden Hauptstücke eingesehen. Das gegenwärtige wird uns gänzlich überzeugen, dass der Bogenstrich die Noten belebe; dass er bald eine ganz modeste, bald eine freche, bald eine ernsthafte, bald eine scherzhafte, itzt eine schmeichelnde, itzt eine gesetzte und erhabene, itzt eine traurige, itzt aber eine lustige Melodie hervorbringe und folglich dasjenige Mittelding sey, durch dessen vernünftigen Gebrauch wir die erst angezeigten Affecten bey den Zuhörern zu erregen in den Stand gesetzt werden. Ich verstehe, wenn der Componist eine vernünftige Wahl trifft », il résume « Il dit, que .. euh .. même si vous n’êtes pas sûrs de vous, jouez ! On y va ! »
D’accord !
Stage de contretemps. Oh, que de cruauté !
Par contre, le ternaire au tempo supraluminique, ce n’est pas encore ça.
L’oreille gauche de ma co-pupitre est située à une trentaine de centimètres du piccolo. Lequel est très content d’explorer l’ultime frontière de son instrument « je joue un contre-si!! », mais a la délicatesse de nous lancer un regard d’excuse après chaque note. Le son du piccolo détruit tout sur son passage et les neurones ne repoussent pas.
L. le contrebassonniste (qui a un son magnifique, rond et velouté, très éloigné de l’habituel prrrout) fait une gamme. Le bâtiment vacille. On m’explique que l’effondrement des Archives colognaises a été causé par un piccoliste et un contrebassonniste travaillant un duo (la municipalité aurait étouffé l’affaire).
J’ai pu utiliser tout le vocabulaire préalablement étudié. Mais j’apprends de nouveaux mots à foison : Geigenfleck (je dois expliquer à un jeune allemand, que non, les Français n’ont pas de tache-de-violon, peut-être ne travaillons-nous pas assez l’instrument?), Karajankomplex (j’aime sincèrement la langue allemande).
6 commentaires On Carte postale de Cologne
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Haha, beautiful post. C'est dommage que je ne pouvais pas vous accompagner 🙁
Petit a: Les cornistes ne cessent jamais de parler de transposition et des doigtés d'enfer. J'en suis témoin – en tant que trompettiste, je suis le cible régulier de ce genre de plaintes venant des cuivres voisins. (fin bref ils sont vachement sympas les cornistes, mais ils parlent un peu trop des aléas de leurs instruments)
Petit b: vu la beauté ravissante et la flexibilité intarissable de la langue de Goethe, parlera-t-on un jour du "Korovitchkomplex"?
Je ne vois vraiment pas ce qu'il y a de compliqué dans les instruments transpositeurs.
Une clarinette ("normale" ou basse), dans le premier registre, on fait un Do, ça sort un Sib, suffit de le savoir.
Et dans le deuxième registre, avec le même doigté, ça sort un Fa, c'est quand même pas sorcier.
Et un saxophone alto qui a quasiment la même tessiture, avec un doigté de Do on sort un Mib.
Qui a dit les soufflants ont l'esprit tordu ?
@ Sax and Cat : tout s'éclaire ! (est-ce que ça vous fait le même effet, d'entendre des violons papoter entre eux?)
@ Etnobofin : oui, quel dommage, en effet, il y avait une excellente ambiance de voyage de classe de lycée ! J'ai très très envie d'y retourner, et vais très certainement prendre mes billets dans la semaine pr le concert de juillet : tu viens ?
Le Korovitchkomplex ? Dans le contexte, ce n'était pas très flatteur! En tout cas, je pense qu'on peut d'ores et déjà homologuer le Korovitcheffekt, pour l'avoir expérimenté de première main cet hiver.
Tu crois que dans les archives colognaises, il y avait quelques recettes de sauces pour accompagner les spaetzle? *angoisse*
(tiens, prenons un air détaché et essayons de provoquer, l'air de rien, une petite crise de youpisme)
Alors, Klari, tu ne t'es pas trop ennuyée, à Cologne?
C'est fort probable ! J'espère qu'ils n'ont pas perdu la recette de l'eau de Cologne ou de la Kolsch, ce serait ballot.
Tu veux un petit youpisme ? Jamais en public, jamais par écrit ! 😉
(mais je ne réponds de rien pr le prochain Menu Plaisir)