Les violoncellistes se sont installés au compte-gouttes sur scène. L’air de rien, comme s’ils se trouvaient passer par là, et que soudain leur prit la fantaisie de s’y arrêter. « Les entrées, à l’américaine. Tranquillement » souffle à ses étudiant leur professeur, Raphaël Pidoux, depuis le côté de la scène. Il les rejoint ensuite pour annoncer le programme : des transcriptions de Roland Pidoux – éminent pédagogue et père du précédent – pour ensemble de huit violoncelles.
Il est des phénomènes musicaux qu’on ne sait expliquer, mais dont on ne peut que constater l’universelle vérité. Pour exemple : dès qu’un violoncelliste se trouve en présence de confrères, ils se constituent sur-le-champ en ensemble et se mettent à jouer. Une pulsion irrépressible, un réflexe atavique ? Plutôt une idiosyncrasie violoncellistique, je dirais. Je n’ai pas souvenir d’avoir jamais écouté un ensemble de violons, de contrebasses, ou dieu nous préserve, d’altos.
C’est tout d’abord en équipes de huit (des échanges de joueurs étaient opérés entre les morceaux, comme au rugby, afin que tous les étudiants de la classe puissent participer aux réjouissances) qu’ont été présentés des morceaux très sérieux : une transcription du Gesang der Geister über den Wassern de Schubert, la Prière de Bloch, ainsi que l’Adagietto de la 5è de Mahler.
En début de concert, il nous avait en effet été précisé que les transcriptions de Roland Pidoux étaient conçues pour des ensembles de huit. Car la huitaine de violoncelles serait garante de l’équilibre et de l’harmonie. Pourquoi huit ?
On pourrait arguer que Roland Pidoux est tombé d’accord avec Villa-Lobos, qui a composé ses Bacchianas Brasilieras pour huit violoncelles. Or, si la supériorité de la huitaine était si écrasante, pourquoi aurait il par la suite expérimenté pour d’autres configurations violoncellistiques ? J’en veux pour preuve la Fantaisie pour 16 ou 32 violoncelles, ou encore les transcriptions du Clavier bien tempéré pour orchestre (!) de violoncelles. Faut-il impérativement se limiter à huit ?
Plus près de nous, les douze violoncellistes du Philharmonique de Berlin semblent avoir prouvé – entre autres lors des récentes festivités en l’honneur de leur cinquantième anniversaire – que le nombre d’or du violoncelle est douze. Qui oserait affirmer le contraire – à part le critique du NY Times, qui trouvait en son temps que c’était le « most bizarre spin-off of the Berlin Philharmonic« . Faut-il croire tout ce que les critiques racontent, je me le demande.
Lors des évènements exceptionnels, les ordres de grandeur deviennent effarants : je vous laisse contempler l’improbable horde de violoncelles assemblée pour célébrer le jubilé de l’immense Janos Starker. Cent soixante seize violoncellistes. Ca va trop loin.
La Huitaine, la clé de la perfection ? Moui. Je trouverais plus plausible que, si peu de temps avant les festivités de fin d’année, Raphaël Pidoux ait jugé prudent d’éviter de formuler en public une opinion allant à l’encontre de son auguste père. Une marque de sagesse.
Pour jouer les bis, une nuée de violoncellistes s’est abattue sur scène, abandonnant joyeusement l’idéal de la huitaine. R. Pidoux présenta alors chacun des membres du bataillon de violoncellistes, tout en déposant discrètement de mystérieux objets en tissu rouge et blanc sur les dossiers de leurs chaises. Des chapeaux de Noël ! Indispensables pour rendre justice à une transcription de Jingle Bells pour Grand Ensemble de Lutincelles Masqués. Un bis jubilatoire qui installe immédiatement un grand sourire aux lèvres de celui qui l’écoute.
Sortir du dernier concert de l’année le sourire aux lèvres, c’est une nette amélioration par rapport à l’année précédente. Mon dernier concert de l’année 2020, c’était le Quatuor Casals, mi-octobre : j’avais du partir à la sauvette entre deux mouvements d’un quatuor de Beethoven, pour rentrer à la maison avant le couvre-feu. Sans doute possible, il y a du mieux.
Lundi 13 décembre 2021, Conservatoire National Supérieur de Paris Classe de violoncelle de R. Pidoux, Concert de Noël Schubert, Gesang der Geistern über den Wassern Bloch, Prière Mahler, Adagietto de la 5è Bizet, Carmen, suite n°1 Reynaldo Hahn, Barchetta Jingle Bells |