Quatuor Hagen – Beethoven

L’année dernière, j’ai décrété qu’il était grand temps que je me mette à écouter de la musique de chambre, en particulier du quatuor à cordes. Ce genre m’intimide, et pas qu’un peu ! J’ai encore aujourd’hui un peu peur d’être rebutée par le son des cordes seules, sans adoucissant à vent, de m’ennuyer sans orchestre à observer dans ses menus recoins, d’être déçue par les œuvres jouées, etc etc (je me reconnais bien dans le billet de Musicasola ici). En contrepartie, je suis toute émoustillée à l’idée d’écouter mes musiciens préférés plus longuement que dans un concerto ou sur un solo d’orchestre, forcément trop court, ainsi que de donner à mes oreilles un répertoire tout neuf à découvrir.

Évidemment, c’était un brin incongru d’aller écouter le quatuor Hagen à Vienne alors qu’ils poseront leurs valises à Paris un week-end entier, plus tard dans la saison. Mais elle me tendait les bras, cette adorable place au premier balcon, si bon marché, tout près tout près, au-dessus des musiciens, que je peux ainsi espionner à loisir. C’était également une excellente occasion de découvrir une des très nombreuses salles du Konzerthaus de Vienne, qui vaut le déplacement, rien que pour les immenses foyers, chaleureux et spacieux, où un bataillon d’ouvreurs en costume guilleret noir, vert et jaune s’affairent pour restaurer le mélomane et/ou le débarasser de ses affaires (je n’ai jamais vu des vestiaires aussi rapides et aussi bien organisés, vive le Konzerthaus). Revigorée après un ‘Mélange’, en autrichien dans le texte (NdT: un café au lait) servi sur son mignon petit plateau avec un petit verre d’eau fraîche, je m’en vais attendre le début du concert.

Le public s’installe, les musiciens s’installent, derniers toussotis, quelques grincements de fauteuils pour la route, un discret gazouillis de bonbons, quelques instants de recueillement, qu’un dernier râclement de gorge gras et sonore vient troubler, l’archet de Lukas Hagen esquisse un huit agacé avant de se rapprocher du chevalet de son violon. Concentration. Et c’est parti.

Le choc.

Clouée à mon fauteuil, j’observe (grâce à ma place astucieusement choisie, j’ai l’impression d’être dans le quatuor) ou plus exactement, je me prends en pleine figure la force de ce quatuor hallucinant, au son parfois aussi dense et riche qu’un orchestre, dont les quatre membres sont manifestement unis par un lien télépathique.

Pendant la première partie, je m’amuse à observer à tour de rôle les musiciens, Veronika Hagen à l’alto, féroce (plus jamais n’oserai-je émettre l’idée que l’alto est l’instrument le plus discret du quatuor à cordes), avant de l’abandonner au profit de Rainer Schmidt, magnifique second violon, qui parfois, se penche vers la gauche pour renforcer le propos de l’alto, ou parfois retourne sa veste avec malice pour prendre le parti du premier violon, pour échanger quelques mesures, ou murmurer délicatement son acquiescement aux déclamations du premier violon. Quant au violoncelle, il me faut bien deux-trois mouvements pour finir de me repaître de la pertinence de chacune de ses interventions, qui chaque fois, servent relancer, ponctuer, résumer le discours, parfaitement connecté avec ce qui précède, et ce qui suit. Quant au premier violon, Lukas Hagen, je serai bien en peine d’expliquer ce prodige, ce musicien simultanément soliste stupéfiant et complètement intégré au quatuor. ([publicité]réservez plutôt des billets pour leur cycle Beethoven salle Pleyel [/publicité], vous m’en direz des nouvelles).
Quant à la deuxième partie, mes neurones m’abandonnent, je passe le quatuor n°127 dans un état proche de l’extase, entre rires et larmes, à secouer la tête d’un air incrédule. Oh punaise, oh punaise, oh punaise.

Faisant extrêmement bon usage de leurs moyens phénoménaux, les musiciens m’offrent ainsi un concert jouissif, où les menuets et autre scherzando donnent follement envie de danser, les mouvements lents stoppent les pendules dans un rayon de 500m autour du Konzerthaus, les fins-feintes-fins-refeintes-fins finales beethoviennes s’avèrent jubilatoires, on oscille entre une envie frénétique de se mettre à applaudir et la frustration teintée de plaisir (ouf, encore un peu de musique !) de devoir retenir l’ardeur des paumes de mains. Les deux heures du concert passant en un clin d’oeil, sans que la moindre mesure, la moindre fraction de croche n’ait paru parachuté. Comme je me réjouis de passer deux jours entiers avec eux au printemps prochain !

A ceci s’ajoute le plaisir de papoter avec ma voisine, d’abord en anglais puis en français – le sien nettement meilleur que le mien (glups) – d’abord des Hagen, puis de mon Chef-Adoré Nikolaus Harnoncourt, après que j’ai raconté être à Vienne en pèlerinage-Harnoncourt : elle me raconte alors des histoires datant d’un temps pas si éloigné, où Harnoncourt était moins apprécié qu’aujourd’hui, un peu trop trublion au goût des Viennois, qu’elle me décrit un brin conservateurs. Après qu’elle m’a indiqué quelques endroits à visiter absolument, je m’en vais goûter les saveurs délicieuses des boui-boui à saucisses autrichiens avant de rentrer en gambadant à l’hôtel. Le lendemain, les Koncz et Harnoncourt au programme !

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Vendredi 12 octobre 2012, 19h30 – Mozartsaal, Konzerthaus, Vienne
Quatuor Hagen (Lukas, Veronika & Clemens Hagen, Rainer Schmidt)

Beethoven : Streichquartett D-Dur op. 18/3 (1799)
Streichquartett A-Dur op. 18/5 (1799)
Streichquartett Es-Dur op. 127 (1822-1825) (flemme de traduire, directement copié-collé du site du Konzerthaus)
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PS : ne partez-pas sans avoir écouter un peu de Mozart joué par les Hagen.

8 commentaires On Quatuor Hagen – Beethoven

  • Ho oui, ho oui, comme tu as raison, et que tout a l'air simple quand la musique de chambre se pratique comme ça !

    Comme souvent, c'est effectivement à se demander comment ont a pu passer à côte de "ça" aussi longtemps (le "ça" pouvant pointer le bout de son nez dans un allegro bondissant que dans un adagio serein).

    Et puis il y a ce lien télépathique dont tu parles dans ta chroniquette : quatre individus mais un seul souffle, la parfaite quadrature du cercle.

    Pff, les mots manquent, avec ces émotions-là. Mais quel beau texte. Vivement le mois d'avril.

  • merci !

    … oui, ça donne l'impression (quand le "ça" est bien là) d'assister à un miracle permanent.

    je compte sur toi pour me tirer les oreilles et me faire signe à l'avance si tu vois un concert de musique de chambre particulièrement excitant. C'est toi l'expert, par ici.

    (sinon, hier : Berlin. Brahms. A trois mètres de Stefan Dohr et Guy Braunstein pour le trio cor, violon et piano de Brahms, je ne suis pas sûre de m'en remettre avant 2035).

  • Ah zut, je ne vais plus pouvoir utiliser « miracle permanent » pour ma chroniquette des concerts de ce week-end !

  • si tu peux, dans ce cas précis, c'est le seul mot qui convient !!

  • L'expert ? Comme tu y vas ! 🙂

    Non non non, mes lacunes en la matière sont abyssales (le reste n'est guère mieux, faut dire), et même si j'ai eu tout récemment comme un déclic, disons que je suis plus attiré par le mystère que par l'évidence de la chose. Bref, fort flatté je suis mais ô combien illégitime ce terme est (cela dit sans rire).

    M'enfin, c'est un curieux plaisir de la raison, avec ce qu'il faut de passion pour rendre la chose intrigante. Car tout de même : se prendre à danser mentalement sur un scherzo de Beethoven, c'est loin d'être anodin. Ouaip.

    En revanche, je suis partant pour me déguiser en reporter du "Petit Vingtième" et rapporter céans les meilleurs crousticoncerts chambristes à venir !

    Question subsidiaire : viendras-tu à la seconde série des Berliner au mois de janvier (avec Yujaaaaa !) ? Histoire de ne pouvoir t'en remettre qu'en… 2055 ?

  • même si j'ai eu tout récemment comme un déclic, disons que je suis plus attiré par le mystère que par l'évidence de la chose
    C'est une période de grâce, non, cette période où on est attiré, comme tu dit, fasciné par quelque chose qui nous échappe?

    Il est plus difficile ensuite de s'empêcher d'apprécier la chose de manière plus intellectuelle quand on commence à connaître quelques ficelles.

    Même s'il faut toute une vie pour les apprendre, lesdites ficelles.

    se prendre à danser mentalement sur un scherzo de Beethoven, c'est loin d'être anodin
    Ca doit être l'accent autrichien. Je me demande si on ne leur interdit pas, à l'école de musique, quand ils sont tout petits, de jouer des scherzos et des menuets non-dansants !

    Question subsidiaire : ouiiiiii ! j'ai l'abo complet et ai poussé aujourd'hui nle vice jusqu'à racheter une place supplémentaire pr le 21 janvier, pour être au 2è rang, hinhinhin.

    (ajoute à ceci les deux autres we berlinois de la saison, plus le weekend berlinois à la Cité début mars, et je ne m'en remettrai jamais : que faire, alors ? Arrêter d'aller au concert ? Ecrire ad vitam aeternam la même chroniquette ? Epouser un berlinois ? )

  • *Drumroll Drumroll Drumroll Paukenschlag*

    Oyez, oyez !

    Notre grande série des "Crousticoncerts-chambristes-à-ne-pas-manquer" commence dès le 6 novembre à 20 heures sur les ondes de France Mu avec la diffusion du fantabuleux concert du quatuor Pavel Haas au Louvre !

    Avec de vrais morceaux de "ça" chambriste garanti à l'intérieur, quoique le Scherzo du Schubert n'était point trop dansant (m'enfin, vu le contexte…).

    Puissent les petites ficelles faire les grandes pelotes (*aphorisme raté* – je plaide les circonstances atténuantes vu l'heure tardive…)

  • Merci, merci ! C'est très gentil d'être passé par là pour le signaler, c'est noté sur l'agenda.

    "Crousticoncert" ! Décidément, j'aime beaucoup ce mot. Tu m'autorises à l'utiliser de temps en temps ?

    Je note le 6 novembre au soir, merci ! (il faudrait déjà que je réécoute la diffusion du concert TCE du 14 septembre (Mozart aux petits oignons par Norrington et l'OCP) et celui des amateurs au Châtelet (diffusé il y a quelques jours, l'après-midi). Je dis ça, je dis rien, mais je t'encouragerais vivement, si j'osais, à y jeter une oreille.

    (je retourne peiner sur le chroniquette du quatuor Koncz. elle me donne du clavier à retordre, celle-là)
    (le trac. probablement. je serai la première francophone à chroniquetter ce quatuor, hinhinhin !)

    "Puissent les petites ficelles faire les grandes pelotes (*aphorisme raté*)"
    Non, pas raté. Moi aimer beaucoup.

    B'nuit !

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