Le bien-nommé festival Classique Au Vert se tient en plein air, au beau milieu du parc floral, à peu près à mi-chemin entre le lac aux nénuphars et le mini-golf. En plein air, pour le spectateur, cela signifie savourer la caresse d’une légère brise de fin d’été, et ce petit rayon de soleil qui vient réchauffer un coude ou une épaule. Parfois le chant des mouettes interrompt d’un Hihihihiâââr perçant les musiciens. Le doux chuchotement des feuilles fournit une superbe toile de fond à laquelle vient se superposer la musique. Cerise sur le gâteau, le climat sain et tempéré du parc floral soigne les tuberculoses avancées dont souffre la plupart des spectateurs des plus augustes salles parisiennes.
Pour le musicien, cela entraîne des soucis d’accord – ou de désaccord, chez les instrument à cordes en particulier (j’avoue toutefois ne pas très bien comprendre comment le vent contribue à désaccorder un instrument). Des soucis d’acoustique, certainement. Et surtout, des soucis de buanderie, dont on ne parle jamais assez dans la presse spécialisée. Laissez-moi pallier illico cette lacune. Si les musiciens ont travaillé leurs partitions, ils ne les ont pas apprises par coeur. Elles sont donc posées devant eux, sur un pupitre. Le pianiste, lui, est au-dessus de ces considérations logistiques, il bénéficie de l’aide d’une jeune préposée aux tournes-et-catastrophes-éoliennes. Le violoncelliste et le violoniste, livrés à eux-mêmes, sont contraints de ligoter leurs partitions aux pupitres afin d’éviter que la délicate brise estivale du bois de Vincennes n’occasionne tournes prématurées et envols spontanés de partitions.
L’outil idoine : la pince-à-linge. La partition dûment harnachée au pupitre, tourner les pages des partitions s’avère une opération particulièrement délicate, devant pourtant être effectuée en un minimum de temps. Deux écoles de tourne coexistent :
– l’Ecole N°1, dite du Violoniste.
Côté gauche du pupitre, une (à la rigueur deux) pince-à-linge. Côté droit, un nombre de pinces-à-linge égal au nombre total de pages divisé par deux (voir schéma). Les préparatifs sont un peu plus longuets, mais la tourne en elle-même s’avère on ne peut plus efficace : à gauche, ôter d’un geste vif une pince-à-linge, ajuster la pince de droite.
Prenons l’exemple ci-dessus. A droite, le pince D attache les trois dernières feuilles au pupitre (pages de 18 à 23). Pour accéder à la page 18, on ôte la pince « D », on tourne, on ajuste la pince « A » pour qu’elle pince désormais la feuille des pages 18 et 19. La pince « C » est désormais active, c’est elle qu’il faudra ôter lors de la tourne suivante, etc, etc.
– l’Ecole N°2, dite du Violoncelliste.
Une douzaine de pinces retiennent la partition par le haut. Chaque tourne implique de déplacer une-à-une chacune des neuf pinces-à-linge accrochées au bord supérieur du pupitre. Préparatifs rapides, tourne longue. Je ne vois guère d’avantages à cette méthode, mais le violoncelliste s’en contente, tournant sereinement ses pages sans prendre la moindre mesure de retard, parfois ajustant ses pinces-à-linge en rythme avec la partie de violon.
Ces considérations expliquent probablement la présence au programme d’oeuvres relativement courtes, ne nécessitant qu’un nombre réduit de tournes. Comme le délicat Circulo de Turina, qui me laisse des impressions agréables, que mon cerveau n’a pas su stocker, trop sollicité par le sujet des pince-à-linge. Lui succède Vitebsk, de Copland, avant lequel le violoniste du trio prend soin de terroriser l’assistance « nous allons jouer faux. Et pas ensemble. Mais c’est écrit sur la partition, ne vous inquiétez pas, nous avons travaillé ». Propos un brin exagérés, car je tombe immédiatement sous le charme de ce trio âpre, d’abord dignement mélancolique, avant de s’énerver un peu, en proie à une forme d’hystérie joyeusement angoissée.
On abandonne les quarts-de-ton faux et pas ensemble pour le trio de Schubert (beaucoup plus de tournes), ce trio (l’oeuvre) mettant particulièrement en valeur les qualités du trio (les musiciens). Schubert est ( mais ce n’est que mon avis) particulièrement sourcilleux : môssieu Schubert exige d’être joué impeccablement, môssieu exige des musiciens parfaitement accordés, capable d’appuyer chacun de son côté des accents rigoureusement identiques au millinewton près aux accents des confrères, de se passer la ba-balle musicale sans heurts ni accrocs, mais môssieu Schubert tolère par ailleurs très mal d’être joué aseptisé, sinon, il s’ennuie et ennuie. Cet après-midi-là, Schubert était radieux, le public aussi, grâce à ces musiciens parfaitement accordés (même dans ces passages étranges où ils doivent jouer ensemble sans être ensemble, comme dans le délicieux passage du le premier mouvement, où le violoncelle se dandine avec bonhommie au rythme de pizz bien joufflus, pendant que le piano égrène de délicates notes perlées, le violoniste venant agiter ce tandem incongru à coups de discrètes mais vigoureuses croches).
En bis, un étourdissant Rondo all’Ongarese de Haydn, avant de nous laisser explorer les allées du Parc Floral (qui se prête fichtrement bien à l’organisation de pique-nique pâtissiers) et de découvrir les arbres-à-contrebasses et autres arbres-à-harpes qui jalonnent le Parc.
Plus tard, je m’étonne de ne pas avoir eu l’occasion d’écouter le trio Wanderer auparavant. Evidemment. Ils reviennent du Mozarteum de Salzbourg (oooh), s’apprêtent à jouer au Grand Temple Très Important de la Musique de Chambre (au Wigmore Hall de Londres), on les trouve au Musikverein (oh), mais à Paris, rien, niet, ce trimestre. Pour les écouter dans le coin, il faut aller à Beaulieu-sous-Loches (hiiiiii, ils vont jouer avec mon bassonniste préféré). C’est quand même un peu bizarre, ne trouvez-vous donc pas ?
Jeux concours pour fêter la rentrée :
1/ Quel est le pluriel correct de pince-à-linge, et pourquoi ? Pinces-à-linge, pince-à-linges, pince-à-linge, pinces-à-linges ? (une seule réponse par personne)
2/ De quel bois fait-on des harpes ? Des contrebasses ?
(le/la première à donner une réponse rigolote gagne une entrée – deux si besoin) pour le prochain concert du Festival Classique au Vert, samedi à 16h, par exemple)
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Parc Floral de Paris, dimanche 26 Aout 2012, 16h – Festival Classique au Vert
Trio Wanderer (J-M. Phillips, Raphaël Pidoux, Vincent Coq)
J. Turina : Circulo, op. 91 (en regard avec la peinture de Picasso et Goya)
A. Copland : Vitebsk (en regard avec la peinture de Chagall)
F. Schubert : Trio n°1 en si bémol majeur op 99 (en regard avec la peinture de Friedrich)
Haydn, Rondo all’ongarese (bis)
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Ailleurs : Concertonet.
9 commentaires On Les Tournes du Trio Wanderer
En préambule : La pince à linge.
1/ Pinces-à-linge évidemment, parce qu'il y a plusieurs pinces et *du* linge. (Toutefois, si deux personnes différentes étendent du linge sur un fil, manquent de pinces et attachent donc avec une seule pince du linge de l'un et de l'autre, on pourra parler de « pince-à-linges ».)
2/ Mais qui donc disait que c'était le « harpier » ?
1/ Et pourquoi pas des pinces-aux-linges ?
2/ Félicitations ! Tu viens donc de remporter une place de concert d'une valeur de 5,5€ (valeur multipliée au millionuple par la présence parmi les musiciens de Xavier Philliiips !)
1) Sais-tu quel animal « linge » ?
2) les harpes sont faites en fibre de carbone maintenant, comme les coques des bateaux.
1) la pince ?
2) quelle déception, tout se perd, ma bonne dame.
1) Le lapin ! Parce que le lapin, ça linge !
2) tout se perd, mais il existe heureusement encore des harpes en bois nobles !
1) Suis-je bête ! Et moi qui en étais à me demander si les dindons ne lingeaient pas entre deux glouglous.
2) Ouf. Parce qu'une harpe en contreplaqué, hein. Quand même.
(livrée en pièces détachées, à monter soi-même, par exemple)
(ce serait un chouette concept, non, un I*ea de la musique ?)
On ne peut pas mettre pince à Linge au pluriel, puisqu'il n'y a qu'une Linge, et qu'il n'y a plus de crustacés dedans.
@Gnome grognon : ah, enfin ! Je commençais à désespérer que quelqu'un trouve la bonne réponse.
Merci et bravo à tous pour vos avis grammatico-musicaux ! Joël est le grand gagnant du jeu-concours de l'été, bravo à lui !